"Les Années", d'Annie Ernaux


Ne vous y trompez pas le roman d'Annie Ernaux n'est pas directement inspiré de L'art des listes de Dominique Loreau, best-seller du développement personnel. Annie Ernaux énumère avec subtilité les évènements marquants de la femme du vingtième siècle. Elle ne s'encombre pas d'une chronologie. Elle restitue les véritables âges de notre existence, et les souvenirs qui leur correspondent. Les évènements et non les dates construisent notre identité. Interrogez vos propres souvenirs. De quoi vous souvenez-vous ? Une photo, une musique, un livre, une madeleine ravivent le passé. Un souvenir en amène un suivant et ainsi de suite. L'intime occupe donc le premier plan des Années, l'Histoire n'en constituant que l'arrière-plan. Annie Ernaux excelle dans sa restitution des âges majeurs de notre existence. A travers ses propres souvenirs, ceux de ses aïeules, et de ses successeurs, elle écrit une autobiographie inédite, à la fois intime et collective. A vous d'y déceler son itinéraire et d'y retrouver le vôtre.

Déjà, j'en entend quelques uns se sentant évincés. Évidemment les messieurs ont leur place. Annie Ernaux ne renie pas des siècles de cohabitation plus ou moins réussies. Elle et On, protagonistes des Années, partagent et traversent le siècle ensemble.

Mais alors quel regard ! aucune compassion, aucune nostalgie mièvre. Elle dépeint chaque période avec la même acuité, et la même vivacité critique et intellectuelle. Comme elle libère sa parole, elle libère la narration de ses chapitres, de sa ponctuation, et les remplacent par une succession de fragments. Le fil de notre existence ne s'interrompt jamais sauf à notre mort.

Plus personnellement, les premières pages de l'ouvrage ne m'avaient pas interpelées. Ce n'était pas ma génération. Au fur et à mesure, j'ai été saisie par l'écriture franche, élégante et pertinente d'Annie Ernaux, pour être finalement conquise. Les derniers fragments, à l'âge de la vieillesse sont sûrement les plus poignants, les plus sévères tant son regard se veut désenchanté et lucide. Homme ou femme, jeune ou vieux, dans ce roman social, votre âge est présent tôt ou tard.

Alors c'est bien simple. Depuis quelques années l'exercice de l'autobiographie s'impose à chacun. Politiciens, chanteurs, footballeurs, toute trace de célébrité est prétexte à l'exercice. Annie Ernaux balaye de son élégance littéraire toute ces rédactions de seconde zone. Et si comme moi, les premières pages ne vous conquièrent pas immédiatement, ouvrez le livre où vous le souhaitez, trouvez votre histoire. Ne l'achevez même pas, vous y reviendrez tôt ou tard, comme face à votre miroir.

"Ce que ce monde a imprimé en elle et ses contemporains, elle s'en servira pour reconstituer un temps commun, celui qui a glissé d'il y a si longtemps à aujourd'hui - pour, en retrouvant la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle, rendre la dimension vécue de l'Histoire". CQFD.

Incontournable.

Les Années,d'Annie Ernaux, éditions Folio, 253 pages, 6,60 euros.

Si vous aimez, un autre roman intime, humble et savamment écrit Le boulevard périphérique, d'Henry Bauchau.

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