"La fin de la folie" de Jorge Volpi


Les commémorations passées de mai 68 ne vous ont pas convaincus et vous hésitez toujours entre choisir le camp des glorificateurs ou celui des désenchantés. Je vous propose un nouveau point de vue, celui de Jorge Volpi, auteur mexicain de La fin de la folie.

Le héros du roman, Anibal Quevedo, se réveille dans une chambre d'hôtel, en plein cœur des émeutes parisiennes dont il se contrefout. Comment a-t-il atterri dans cette chambre ? Par le bon vouloir de l'auteur, qui lui donne assez d'argent en poche pour que jamais le lecteur et Anibal ne se préoccupent du tout venant. Parce que le sujet du roman est ailleurs, Jorge Volpi donne un coup de pouce grossier et assumé à l'intrigue, pour nous faire gagner du temps.

Anibal est là pour deux raisons : devenir le témoin objectif des révoltes de l'année 68, débutées en France. Elles le ramèneront ensuite dans son pays après son apprentissage révolutionnaire sur les barricades parisiennes. Enfin, rencontrer Lacan. Comme l'occasion fait le larron, Anibal, psychanalyste en perdition, décide de se rendre chez Lacan qui vit à deux pas de chez lui. Il veut retrouver foi en sa profession. La psychanalyse et la révolution font bon ménage tout au long du roman, et l'intelligentsia de l'époque en prend pour son grade.

Jorge Volpi n'épargne personne. Les révolutionnaires, les idéalistes, les intellectuels sont désacralisés. Dans ces périodes de trouble, le piédestal s'écroule pour tous. Les enjeux privés déterminent les enjeux idéologiques. Lacan est un égocentrique colérique qui se révèle aussi incontrôlable que ses patients. Althusser oscille entre ses périodes d'internement et ses cours à l'ENS. "Althusser à rien" scandent les étudiants dans la rue. Barthes est un trouillard préférant la fuite à l'affrontement. Foucault est l'un des seuls à s'en sortir à peu près indemne.

Au milieu de cette folie douce, Anibal Quevedo est un candide redoutable, appuyé par l'érudition et la fougue de l'auteur. Le roman est sans cesse au bord de l'implosion. Les personnages et les situations grotesques s'accumulent. Le roman oscille entre le drame et la farce. Pourtant le capharnaüm littéraire n'est qu'apparent. Volpi est un auteur hors norme, il tient avec brio les rennes de cette chevauchée littéraire débridée. Sa subtilité intellectuelle et sa finesse humoristique tempèrent la folie et l'ardeur révolutionnaire qui emportent les protagonistes. Vous sortirez rincés et ébouriffés de tant de révoltes. Quel roman dense et enthousiasmant !

Anibal n'a rien à envier à Candide, ni Volpi à Voltaire. Chapeau !

La fin de la folie, de Jorge Volpi, éditions Points, 526 pages, 8 euros.

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